Simon Paquin est un marin expérimenté et un instructeur passionné qui a créé EcoMaris en 2006, un voilier-école pour les jeunes dans le but de sensibiliser à la protection de l’écosystème en observant de première main la faune marine, du plancton aux baleines. Dans cet article, Paquin partage avec nous son expérience de voyage de la rivière Amazone au fleuve du Saint-Laurent, nous rappelant que bien qu’ils soient dans des pays différents, ils sont liés par le même courant, le même vent et surtout le même cœur.
Les rivières de la forêt amazonienne (Pérou)
Le soleil à peine levé, les pieds sur le pont du navire couvert de rosée, un café fumant à la main. Le cri des macaques hurleurs résonne jusque dans ma poitrine. Ce n’est pas un réveil matin, c’est un réveil de conscience. La puissance de cette vibration me remplit de vie, d’effroi et d’espoir. Loin de la ville surpeuplée, le macaque hurle sa joie, sa liberté, sa colère, ses pulsions : le macaque est en vie. Si seulement les humains pouvaient l’être tout autant. Juste ça. Seulement ça. Des êtres humains en vie. Cet acte d’être vraiment en vie est presqu’un acte révolutionnaire en cet ère où, être assis devant un ordinateur est la norme.
La vie est un grand mouvement. Notre vie en manque souvent. L’eau qui stagne se putréfie et devient nauséabonde. A contrario, l’eau qui coule génère de l’énergie, provoque des échanges, fait avancer les bateaux. Notre vie devrait être un mouvement dans le grand mouvement de la vie. C’est pour ça que j’aime les bateaux : ils permettent un mouvement physique, qui engendre un mouvement psychique. Sur l’eau, rien ne stagne : ni le corps, ni l’esprit, ni le cœur.
Avant de lever l’ancre, nous allons marcher dans cette forêt encore riche en biodiversité. Parmi toute cette vie amazonienne, la plus impressionnante est celle des fourmis : celles-ci travaillent en équipe sur des centaines de mètres, de la cime des arbres au sous-sol terrestre. Elles forment des autoroutes qu’on peut reconnaître de loin, elles trimballent des feuilles huit fois plus grandes qu’elles. Les fourmis construisent, mais ne détruisent pas, elles travaillent mais ne se nuisent pas entre elles. Elles vivent les unes sur les autres et continuent de collaborer. Bref, j’aime les bateaux, mais j’aime aussi les fourmis : je les trouve inspirantes, un modèle de société.
Après cette journée de balade dans 100% d’humidité où nous avons aperçu des jolis serpents, de lents paresseux, des papillons magiques, des crabes se déplaçant à toute vitesse, des toucans en vol, nous levons l’ancre et reprenons le chemin de la liberté.
Sur l’eau, le fleuve Amazone nous surprend non seulement par la richesse de ses eaux, mais surtout par son horizon majestueux, la grandeur de son territoire. Le soleil se couche sur l’amont du fleuve et pourtant, à 360 degrés autour de nous, que de l’eau, aucune terre en vue. C’est d’ailleurs un aspect fantastique de la navigation : on ne se sent jamais autant sur Terre que lorsque nous sommes en mer. L’échelle fait toute la différence, elle nous ramène à notre petitesse d’être humain. Ça fait toujours du bien de remettre les choses en perspective. C’est ce que permettent les bateaux.
Couché sur le pont, la tête dans les étoiles, j’oublie ma position GPS, ce qui en soi est fantastique. Ce qui l’est encore davantage, c’est que lorsque je fais abstraction de ce qui m’entoure et que je plonge entièrement dans le ciel, je pourrais être n’importe où. Je suis un grain de sable de Tombouctou, je suis une feuille du Saint-Laurent. Je suis le géant du copépode, je suis le copépode de l’ouragan. Je suis ici et maintenant au centre de mon univers, mais en banlieue de cette galaxie qui se promène dans l’Univers. Je suis tout pour ceux qui m’aiment et je ne suis absolument rien pour cette Terre qui tourne pas mal plus rond que les sociétés qui vivent dessus.
Je regarde vers le nord en cherchant l’étoile polaire, en vain. Depuis l’équateur celle-ci n’est visible que théoriquement sur l’horizon. Je reconnais, malgré tout, certaines constellations qui m’attirent et me projettent sur le pont d’un autre navire au nord…
Fleuve Saint-Laurent (Canada)
Le soleil à peine levé, les pieds sur le pont du navire couvert de rosée, un café fumant à la main. Cette fois, le sifflement du vent sous les ailes des macareux réveille mon âme vagabonde tout en douceur. Au pays du vent, dans cette baie de Coacoachou (le corbeau en langue innue), loin de ces villes aux marteaux piqueurs assourdissants, aux klaxons d’impatience, c’est la loi du silence qui règne. Ce silence fait du bien à l’âme. Il est un vent de fraicheur sur l’esprit. Il permet de laisser la poussière mentale se déposer tout au fond et crée une eau de surface diaphane. Pourquoi toujours parler? Pour prouver qu’on existe? Pour satisfaire notre ego. Le silence, cette chose merveilleuse que nous n’écoutons que trop rarement, révèle pourtant des secrets insoupçonnés, voire même des réponses.
La vie est un grand mouvement. Notre vie en manque souvent. Sur le Saint-Laurent, le mouvement est initié par le vent. Celui-ci nous apprend. Il nous apprend à le suivre, à la remonter, à l’attendre, à le redouter, à le désirer, à le respecter. Il nous pousse vers l’avant, balaie nos vies de ses excédents. Il engendre le mouvement intérieur. C’est pour ça qu’on navigue, pour écouter le vent, pour se parler en silence.
Avant de lever l’ancre, nous allons faire une petite balade dans la toundra. Ici, la quiétude fait partie de la vie. Il existe encore des lieux sur cette terre où les paysages remplacent les écrans. Cueillir et déguster de la camarine en montant sur le sommet rocheux qui surplombe la baie. Observer un vison pêcher des capelans pour les rapporter à ses petits. Suivre les traces du renard via ses excréments contenant des poils de lièvre. Cette simplicité et cette vérité que l’on retrouve dans la contemplation de la beauté qui nous entoure, devrait se retrouver partout.
Après cette journée de balade, où nous avons cueilli : champignons, airelles, chicoutai, génévrier, bleuets, salicorne, caquillier maritime, persil de mer, mertensie et plantin maritime, on reprend le chemin tracé par le vent. Sur l’eau, le Saint-Laurent nous surprend, non seulement par la richesse de ses eaux, mais également par son horizon majestueux, la grandeur de son territoire. Il dépayse. Nous pourrions tantôt être en Bretagne, tantôt dans un fjord de Norvège, tantôt sur île vierge des Antilles, mais qu’importe le pays, en bateau, nous sommes sur l’océan, sur la Terre.
Le Saint-Laurent est un territoire intérieur où coule notre richesse environnementale grâce à ses puissants courants qui créent une soupe vivante, venant nourrir les baleines migrantes du sud vers le nord. Plus impressionnant que les courants, il y a le vent du Saint-Laurent. Celui qui fait vibrer doucement la drisse au mât du voilier au mouillage est le même qui viendra déchirer ta grande voile en morceau, si tu ne fais pas preuve d’humilité. Celui qui porte le petit macareux a peut-être déjà caressé l’aile de l’albatros, quelque part dans le Pacifique. Il n’a pas de frontière, cavalier, il passe où bon lui semble, à la vitesse qu’il lui plaît, mais par-dessus tout il nous unit.
À l’image des courants amazoniens qui déplacent les bancs de sable, le vent façonne les côtes, déplacent les nuages, nous rappelle à quel point nous sommes petits. J’aime le vent : parfois doux, parfois violent, il cajole, il détruit, mais il apporte aussi la vie.
L’Harmattan, ce vent de nord-ouest, chargé de grains de sable du Sahara porte avec lui des tonnes de phosphore qui viennent fertiliser le sol amazonien. Tout comme les étoiles, le vent nous ramène à une échelle qui n’est pas humaine.
Deux fleuves, un coeur
Le Saint-Laurent et l’Amazone ne font qu’un : l’un au Sud, l’autre au Nord, un où l’on gèle, l’autre ou l’on crève, mais la quintessence est identique. Ce sont des endroits en mouvement, des endroits qui créent la vie, dans les cris, comme dans les silences, grâce à l’eau ou grâce au vent. Au sud on mange l’açai, au nord le bleuet. Au sud on pêche le pirarucu, au nord la morue. Au sud les arbres gigantesques se prélassent sous le soleil de plomb, au nord les arbrisseaux se battent contre le froid et prennent la forme dictée par Éole.
Tout cela n’est qu’anecdote, car l’important c’est le mouvement. Le mouvement qui unit tout. Il unit le Sahara et l’Amazonie par le vent, il unit la Floride et l’Islande par le courant, il unit l’hémisphère nord à l’hémisphère sud par les constellations d’étoiles et, du même coup, il unit par les yeux et le cœur, tous les humains qui les contemplent.
Le temps c’est tout ce que nous possédons réellement. Prenons ce temps, prenons le temps, prenons notre temps et, à l’instar de l’océan, créons un réel mouvement.
CRÉDITS
Article par Simon Paquin.
Amoureux de la mer et marin depuis l'âge de 19 ans, Simon Paquin a enseigné la plongée sous-marine en Martinique, navigua sur des petits et grands navires, en équipage et en solitaire, comme équipier, comme skipper, comme instructeur, comme pêcheur, tant aux Antilles, qu’en Atlantique, qu’en mer Méditerranée, que dans le Pacifique Nord.
Ce formateur passionné au parcours non linéaire a étudié en psychoéducation, en communication et en gestion de projets pour ensuite fonder EcoMaris en 2006 afin de réaliser son rêve de former les gens à travers l’apprentissage de la voile et la découverte de l’environnement du fleuve Saint-Laurent.
Photo 1 à 4 Paul Rosolie
Photo 5 à 8 Ecomaris