Cet été, l’état de panique associé à la pandémie semble avoir été relégué au second plan par rapport à la crise du changement climatique dans tous nos fils d’actualité et les médias. On avait l’impression que chaque jour apportait un nouveau grand titre sur les conditions météorologiques extrêmes qui ravageaient les villes du monde entier — et que le changement dont les scientifiques et les environnementalistes ont passé des années à nous avertir était arrivé.
Les perturbations climatiques commencent à avoir des impacts inéluctables non seulement sur l’environnement, mais également sur notre quotidien. Cet été, la hausse des températures a d’une part créé les conditions parfaites pour les feux de forêt et les sécheresses dans certaines parties du globe et d’autre part a piégé davantage d’humidité dans l’atmosphère, entraînant des pluies plus abondantes et des inondations potentiellement mortelles dans d’autres régions.
Age of Union voulait mieux comprendre la situation actuelle à laquelle nous faisons face; ce qui est réellement en jeu et quelles sont les solutions qui peuvent être mises en œuvre pour aller de l’avant. Par conséquent, nous avons uni nos efforts avec Matt Brunette de la Canadian Ape Alliance pour nous aider à composer avec cette nouvelle réalité. Matt est un scientifique spécialisé dans l’évaluation des impacts du changement climatique. Il mène ses recherches dans l’est du Congo, l’une des dernières régions du monde où les forêts primaires vierges subsistent encore. Il aide le Dr Kerry Bowman à établir un corridor faunique pour protéger les gorilles des plaines de la région.
“Le carbone est un concept assez abstrait pour plusieurs d’entre nous, mais sa présence prolongée dans l’atmosphère contribue immensément à l’effet de serre à l’origine du réchauffement de la planète et des ravages que nous observons en raison des changements climatiques.” – Dax Dasilva Age of Union: Igniting the Changemaker
AoU: Selon votre avis d’expert, les conditions météorologiques extrêmes que le monde a connues cet été sont-elles pires que jamais?
Matt Brunette: Il semble en effet que les feux de forêt de la côte ouest deviennent de plus en plus fréquents et causent de plus en plus de dégâts chaque année. Cependant, le fait le plus alarmant est celui des événements météorologiques qui battent des records. Nous battons constamment des records de chaleur avec chaque été qui passe. En examinant les dernières décennies, on constate que la tendance à battre des records de température et de chaleur ne cesse de s’accentuer, et pas seulement ici en Amérique du Nord, mais également en Europe et en Asie. Cet été est le signe de ce à quoi ressembleront de nombreux étés à venir. Ces événements extrêmes sont la nouvelle normalité.
AoU: Pourquoi une légère hausse de la température à la surface de la Terre entraîne-t-elle une augmentation aussi extrême des incendies de forêt et des inondations?
Matt Brunette: Une augmentation globale des températures mondiales signifie également une augmentation distincte des températures des terres et des eaux de surface. L’élévation des températures implique une plus grande évaporation des terres/plantes et des océans/lacs, ce qui entraîne une sécheresse dans certaines régions et une humidité accrue dans d’autres, rendant plus probables les événements de précipitations extrêmes.
Le réchauffement des températures de surface des océans joue également un rôle dans la circulation de la température mondiale en influant sur El Niño, La Niña, l’oscillation nord-atlantique, le courant du Gulf Stream, etc. Sans pouvoir affirmer que les changements climatiques sont responsables d’un événement météorologique extrême précis, nous pouvons affirmer avec certitude que les changements climatiques rendent les événements météorologiques extrêmes plus probables.
Un autre facteur qui contribue à la hausse des inondations et des incendies de forêt est l’utilisation anthropique des terres. En remplaçant les terres par du béton et des villes, nous supprimons les surfaces perméables susceptibles d’absorber les précipitations et de contribuer à atténuer les inondations. Dans certaines régions déjà sèches (p. ex., certaines villes de la Californie), une grande part de la population dépend des eaux souterraines pour l’agriculture et l’usage résidentiel. Les changements climatiques influant sur le régime des précipitations dans ces régions, les nappes phréatiques ne se reconstituent pas complètement chaque saison, ce qui oblige les gens à forer de plus en plus profondément pour trouver de l’eau. Résultat : le sol s’assèche encore plus et la probabilité d’incendies de forêt augmente.
AoU: Le concept de changement climatique est un concept si difficile à appréhender. Nous savons qu’il désigne le réchauffement des températures mondiales et entraîne des perturbations des conditions atmosphériques et météorologiques, mais comment clarifier cette notion pour la rendre plus accessible?
Matt Brunette: La Terre est la seule planète qui est notre maison. Imaginez que le thermostat de notre maison est complètement déréglé. Même si nous ouvrons deux ou trois fenêtres pour laisser entrer un peu d’air frais, la maison continue de se réchauffer, la peinture se décolle des murs et les lattes du plancher commencent à gondoler. Mais nous pouvons réparer le thermostat et faire baisser la température de la maison. Il suffit de réagir pour y parvenir.
Nous en sommes à un point où l’on ne peut plus nier que rien ne se passe, les changements climatiques existent. Compte tenu de la manière dont ceux-ci se manifestent, les tendances se dessinent sur de longues périodes, mais nous constatons maintenant que ces changements se produisent plus souvent que d’habitude. Alors quand on voit une sursaturation du réchauffement climatique dans les nouvelles, c’est effrayant et cela renforce ce dont la communauté scientifique parle depuis un certain temps déjà. Selon les modèles de projections pour l’avenir, si le taux d’émission ne diminue pas de manière significative, le réchauffement climatique deviendra non seulement la nouvelle normalité, mais le rythme de ces événements météorologiques dévastateurs augmentera considérablement.
AoU: Est-il possible de renverser les effets des changements climatiques et les dommages déjà causés?
Matt Brunette: Tout dépend principalement de ce que nous faisons des données que nous avons accumulées au fil des décennies, mais nous pourrions assister au début de la fin si nous ne commençons pas à agir dès maintenant. Beaucoup de gens font du bon travail, mais c’est maintenant un problème de coopération et d’action au niveau mondial. Malheureusement, la Covid-19 a montré à quel point il est difficile de rallier les gens à la même cause et de les faire coopérer dans un même pays, sans parler de la coopération au niveau mondial. Il existe toutefois de nombreuses mesures et adaptations qui peuvent encore être mises en œuvre. La température mondiale a augmenté de 1,1 °C par rapport aux niveaux préindustriels. L’ONU vise une augmentation maximale de 2 °C, ou au mieux de 1,5 °C. Même avec une hausse de 1,1 °C, nous constatons des effets assez extrêmes des changements climatiques dans le monde entier. En raison du long cycle de vie du CO2 dans l’atmosphère, les concentrations de CO2 dans l’atmosphère resteraient longtemps en suspens même si les émissions cessaient aujourd’hui, ce qui signifie que bon nombre des changements que nous observons ne disparaîtront pas avant longtemps. Plusieurs pays, dont certains sont pauvres ou en développement, constatent déjà d’importants bouleversements climatiques et ont été contraints de s’adapter. L’ironie du sort veut que beaucoup de ces pays sont ceux qui ont le moins contribué au problème des émissions mondiales, mais qui écopent le plus.
Matt Brunette: La lutte contre les changements climatiques nécessitera une approche à volets multiples impliquant une action gouvernementale résolue et un engagement communautaire. L’espoir est le principal ingrédient pour y parvenir.
Sur le plan environnemental, nous devons nous efforcer de garantir la santé des puits de carbone naturels, qui sont des réservoirs stockant le carbone sur Terre. Les puits de carbone naturels incluent les forêts, les sols, les tourbières, les mangroves, les océans et les prairies. Les plantes absorbent le carbone lors de la photosynthèse et le stockent dans leur biomasse. Dans les océans, le phytoplancton absorbe une grande partie du carbone et peut le stocker pendant une longue période. Dans le cas des puits de carbone naturels, il est important de veiller à la santé à long terme de l’écosystème afin que les réserves de carbone restent longtemps dans le système. La préservation de la biodiversité est un élément clé pour garantir la santé des écosystèmes et lutter contre les changements climatiques.
Les puits de carbone sont des réservoirs qui emmagasinent le carbone. Les puits de carbone naturels incluent :
° forêts
° sols
° tourbières
° mangroves
° océans
° prairiesLes plantes absorbent le carbone lors de la photosynthèse et le stockent dans leur biomasse.
Dans les océans, le phytoplancton absorbe une grande partie du carbone et peut le stocker pendant une longue période.
À l’échelle gouvernementale, de nombreux investissements seront nécessaires pour développer des infrastructures et des économies robustes. Il est impératif de soutenir l’agriculture résiliente et le développement de nouvelles variétés de semences plus résistantes aux conditions climatiques extrêmes. Pour lutter contre les changements climatiques, nous devons nous concentrer à la fois sur l’atténuation afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter l’ampleur du problème et sur l’adaptation pour faire face aux changements à venir.
« Nous devons être plus rapides dans la lutte aux changements climatiques. Et quoi qu’il en soit, la deuxième leçon est que nous devons accorder une grande attention à l’adaptation aux changements climatiques. Investir dans la lutte contre les changements climatiques est coûteux, mais ne pas le faire l’est encore plus. » – German Chancellor Angela Merkel
Les gestes personnels qui peuvent aider les gens à s’adapter seront très différents selon les pays. Dans les pays occidentaux, beaucoup d’entre nous ont la chance d’avoir accès à l’électricité, à la climatisation, à un logement et à des sources fiables d’aliments. Certaines mesures spécifiques à l’adaptation consistent à s’assurer que les maisons sont résistantes aux inondations ou aux conditions météorologiques extrêmes, puisque celles-ci deviendront probablement plus fréquentes. Si vous vivez ou travaillez dans une zone inondable, réfléchissez aux mesures à prendre pour pallier l’augmentation du nombre d’inondations. Pour les personnes ayant une maison, cela peut inclure de planter plus d’arbres pour aider à absorber l’eau ou de réduire la superficie des surfaces pavées pour limiter le ruissellement. Cela dit, le geste individuel le plus efficace que l’on puisse faire est de réduire autant que possible son empreinte carbone. Cela peut notamment signifier consommer moins d’eau et d’électricité, isoler correctement son logement, etc. Une autre excellente solution est de protéger les régions qui agissent comme des puits de carbone naturels, tels que les forêts et les zones humides. Ces zones peuvent se trouver dans votre parc local ou le long de la rivière qui traverse votre ville. Aucune zone n’est trop petite et plus on peut y consacrer du temps, plus on doit s’engager dans l’action collective pour protéger les écosystèmes interconnectés de la Terre.
« Rejoignez la lutte contre les changements climatiques en suivant votre progression et en apprenant à faire des choix quotidiens permettant de réduire votre empreinte carbone. » – Dax Dasilva Age of Union: Igniting the Changemaker
AoU: Avez-vous encore espoir que nous pouvons changer?
Matt Brunette: Oui, j’ai encore et j’aurai toujours espoir en l’avenir et en ce que nous pouvons faire pour lutter contre les changements climatiques. Peu importe la gravité de la situation, nous devons toujours garder espoir. Comme le dit Dre Jane Goodall (une de mes idoles et sources d’inspiration), nous avons besoin d’espoir, car sans espoir, les gens se désintéresseraient de l’environnement et de leur influence sur celui-ci. Comme vous le savez, ce n’est pas le moment de ne rien faire. Nous pouvons garder espoir, car nous savons que, si on leur en donne la possibilité, la nature et les êtres humains sont extrêmement résilients et peuvent recouvrer un état plus sain. Nous pouvons avoir de l’espoir parce que de nombreuses personnes se préoccupent de ce problème et œuvrent, individuellement et collectivement, à la sauvegarde de la planète. Nous pouvons avoir de l’espoir parce que vous et moi, en tant que citoyens du monde engagés, faisons ce que nous pouvons et continuons à nous pousser à faire plus. Même si ce problème est vaste et complexe, les petites choses que nous faisons comptent. Lorsque les problèmes et les effets du changement climatique vous semblent trop accablants, réfléchissez à vos initiatives personnelles et à la manière dont vous réduisez votre empreinte carbone et votre incidence environnementale. Même s’ils peuvent vous paraître insignifiants, les petits gestes peuvent donner de grands résultats et vous pouvez toujours en faire plus pour influencer ou motiver les autres à agir.
Lectures supplémentaires (en anglais)
https://f.hubspotusercontent20.net/hubfs/4783129/LPR/PDFs/LPR_Climate_Change_Deepdive.pdf
https://link.springer.com/article/10.1007/s10584-019-02420-x
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/j.1461-0248.2011.01736.x
https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-60156-4_18
https://www.unep-wcmc.org/news/tackling-climate-change-and-biodiversity-loss-together
CRÉDITS
Une entrevue réalisée par Emma Dora Silverstone-Segal & Mariette Raina
Matt Brunette est titulaire d’une maîtrise en sciences de l’environnement avec une spécialisation dans l’évaluation des répercussions du changement climatique. Il est consultant en énergie et en durabilité à Toronto, où il aide les entreprises à améliorer leur efficacité énergétique et à réaliser des économies. Matt est également le chef de projet du corridor Kahuzi-Itombwe pour la Canadian Ape Alliance où il soutient la recherche et la planification de projets et coordonne les initiatives de partenariat. Impliqué dans la Canadian Ape Alliance depuis plusieurs années, il se rend régulièrement dans l’est de la République démocratique du Congo pour observer les progrès réalisés et renforcer les capacités des partenaires locaux. Matt mène actuellement des recherches visant à évaluer les répercussions des changements climatiques sur le corridor Kahuzi-Itombwe afin de guider la planification des projets et les stratégies de résilience.